Débat sur la réforme des collectivités publiques locales

Intervention de Bruno Gollnisch

Monsieur le Président, mes chers collègues,

Je souhaiterais tout d’abord vous communiquer quelques constats vérifiés par l’expérience déjà longue de nos élus dans les Conseils régionaux :

Pour beaucoup de Français, la décentralisation  est un tour de bonneteau, par lequel les responsables de la politique nationale cherchent à évacuer certaines de leurs responsabilités :

D’abord, en se défaussant sur les régions de compétences qu’ils n’assument plus, sans pour autant renoncer aux sommes prélevées par l’impôt : J’ai le privilège (?) d’être élu sans discontinuer dans cette assemblée depuis 1986.  Les dépenses, la fiscalité, la dette ont décuplé sans que l’on en perçoive toujours les avantages.
Et cela n’a pas cessé depuis : gaspillages, clientélisme, et aussi compétences nouvelles héritées d’un État en voie de décomposition :

  • Lycées  de type « Pailleron » ou autres.
  • T « E » R, trains pourris qui n’avaient plus d’ « Express » que le nom. Et je ne vous parle pas du train Corail avec lequel je viens de rentrer de Strasbourg !
  • Coût social & urbain de l’immigration rebaptisé  « DSQ » « Développement social (sic!) des quartiers », puis : « Politique de la Ville »
  • Universités transformées trop souvent en Parkings à chômeurs.
  • Anciennes routes nationales « transférées » aux départements et qu’il a même été question de rendre payantes !
  • Après-demain : personnes âgées dépendantes, comme celles laissées à l’abandon au cours de l’été 2003, et qui en sont mortes.

Nous le disons donc avec force : les Collectivités locales, et en particulier les Régions, n’ont pas vocation à être les syndics de faillite  de l’État. L’évolution insupportable de la fiscalité locale doit être contenue.

A titre d’exemple, dans cette région, Rhône-Alpes, qui passe cependant pour l’une des moins dispendieuses, la région dépensait à notre arrivée en 1986 la somme déjà très importante d’un milliard 700 millions de francs.

Aujourd’hui, elle approche les 16 milliards de francs actuels (2,442 M€ =15, 87 Milliards F). On peut affirmer qu’en monnaie constante les dépenses ont décuplé. Il en va de même pour la fiscalité, qui n’était à l’époque « que » de  850 millions F. La dette, elle, a été multipliée par 20.

On nous explique que toutes ces dépenses sont indispensables. Je pose alors la question : est-ce qu’en 1986 les gens mourraient de faim dans la rue ? Est-ce que les choses se sont tellement améliorées depuis ? Depuis des années, à chaque dépense nouvelle, à chaque subvention indue, on nous dit gravement que telle largesse ne coûte qu’un paquet de tabac par habitant, ou une pièce de dix francs par habitant, et, si c’est un peu plus cher, une place de cinéma par habitant.

Or, le résultat de ces calculs, c’est qu’en empilant les paquets de tabac, les pièces de dix francs, les billets de cinéma, la puissance publique et ses démembrements sociaux ou fiscaux dépensent 57 % de ce que produisent les Français. Ce n’est plus supportable !

La dérive des régions est telle que l’on pourrait s’interroger sur la légitimité de leur existence qui fait de la France un pays sur-administré par rapport aux autres pays développés de taille moyenne.
A titre d’exemple le Japon, dont le territoire est moins large que le nôtre, beaucoup plus étiré et morcelé, a des besoins administratifs comparables sur le plan de la géographie, mais plus du double des nôtres si l’on tient compte de ses 127 millions d’habitants.

Or, il a 4 fois moins de communes, 2 fois moins de départements. Il ignore les communautés urbaines (les départements métropolitains en tiennent lieu). Il ne connaît pas l’échelon régional. Il a deux fois moins de ministres, cent députés de moins, cent sénateurs de moins, 2 fois moins de fonctionnaires. Est-il pour autant un pays plus mal géré ? Non ! Y rencontre-t-on plus de sans-abri ? Non ! La sécurité y est-elle moins bien assurée ? D’évidence, non !

I COMPETENCES

Faut-il donc jeter les Régions avec l’eau du bain de fiscalisme dans lequel elles sont plongées ?

Si l’on veut malgré tout les garder, alors il est urgent de les réformer, et vous nous permettrez à ce sujet d’esquisser notre contribution.

Selon le Front National, en effet, les Régions devraient redevenir enfin ce qu’elles auraient dû être dès l’origine.

Elles devraient perdre leur compétence générale, facteur de chevauchement, de gaspillages, de confusion, d’irresponsabilité, pour ne conserver qu’un nombre limité mais précis de compétences d’attribution.

A titre d’exemple, dans le domaine de l’enseignement, nous suggérons que les Régions abandonnent la charge des lycées, qui ne posent pas de problèmes fondamentalement distincts de ceux des collèges, pour lesquels les départements avaient déjà mis en place les structures nécessaires.

En revanche, de toutes les collectivités locales, c’est la région qui est à notre avis l’interlocuteur naturel des universités, de l’enseignement postscolaire, de la recherche, à la condition que dans ce dernier domaine on ne se contente pas de décalquer passivement le C.N.R.S.

La formation professionnelle peut être une compétence intéressante si on l’exerce avec réalisme, mais, elle devrait être considérablement allégée s’il n’était plus nécessaire de combler certaines lacunes de l’Éducation Nationale tant dans la formation générale que dans la formation professionnelle.

Comme les autres collectivités publiques, les Régions, vivant de leurs ressources, ne devraient pas avoir besoin de mendier auprès de Bruxelles la rétrocession sous forme de manne d’une petite partie de ce que Bruxelles a prélevé à la France. Et par voie de conséquence, elles n’auront plus besoin d’entretenir de coûteuses ambassades comme elles le font toutes aujourd’hui.

Il n’est pas illégitime que les Régions aident des organismes consulaires à faire la promotion de leurs produits ; en revanche, au travers de la coopération avec leurs voisins ou de la gestion des problèmes frontaliers, que d’occasions de tourisme stérile et corrupteur, que d’occasions aussi de destruction sournoise de l’identité nationale.

Un exemple parmi beaucoup d’autres : il y a quelques années, la Région Rhône-Alpes ayant créé avec la Catalogne, la Lombardie et le Bade-Wurtemberg une association pompeusement baptisée « les 4 Moteurs pour l’Europe », le responsable de l’exécutif le vice-président chargé des lycées, conclut un protocole sur l’Éducation signé avec ses homologues, dans lequel il est question de l’accord des « ministres », et dans lequel il s’autoproclamait donc ministre de l’Éducation de Rhône-Alpes. Rien de ceci n’est innocent !

Nous le savons, l’évacuation par l’Etat de ses responsabilités, que j’évoquais tout-à-l’heure, se fait aussi au profit du thème en apparence si séduisant de « l’Europe des Régions », qui livre au bon vouloir de l’Eurocratie, 150 collectivités territoriales infiniment plus malléables que ne le sont les Nations.
Car tout concourt aujourd’hui à faire de la Région un instrument au service du démembrement de l’Etat :

  • La « régionalisation » du mode de scrutin auparavant départemental ;
  • La permission qui leur est donnée de s’affranchir de la loi nationale ;
  • La faculté qu’elles se sont octroyées en matière de relations internationales ;
  • La suppression du cadre national pour les élections européennes ;
  • La volonté d’éliminer la seule force politique qui s’y oppose : le Front National, par tous les moyens, même les plus tordus.

Dans le domaine de l’aménagement du territoire, les Régions devraient perdre le pouvoir qu’elles ont de pratiquer leur coûteux saupoudrage, construction d’une salle polyvalente ou d’une maison de pays d’ici, installation d’un golf ou d’une piscine par là, pavage d’une place, construction d’un mur d’escalade, etc.
Ceci pose d’ailleurs le problème de la politique dite « de la ville », dont il faut bien constater l’échec.

Ainsi libérées, ainsi allégées, les Régions pourront s’occuper avec prudence des grands équipements nécessaires au progrès de l’économie, des infrastructures publiques, de ce que dans l’inimitable jargon politico-administratif à la mode, on appelle des « équipements structurants » : Routes, gares, ports de commerce, aéroports, etc.

Encore faut-il s’en occuper sérieusement et complètement. Devant la Commission sur la réforme des collectivités locales présidées par M. Balladur, je lui rappelais que, lorsqu’il était Premier Ministre, il avait été convié à présider l’inauguration de la superbe gare TGV sur le site de l’aéroport Lyon-Satolas, aujourd’hui Saint-Exupéry. Depuis qu’elle est terminée on n’en parle plus. On ne s’occupe même pas de savoir s’il s’y arrête des trains. Au sujet des transports, nous acceptons certaines responsabilités en matière d’investissements, mais nous refusons d’être mis à contribution, sans transferts de ressources, pour combler le déficit de la SNCF. Nous n’avons pas à payer le déficit, même au prix de la vanité consistant à apposer les logos de la région.

Ce qui m’a valu un jour de faire le trajet Genève-Lyon dans un autorail estampillé Région PACA. C’est une conception géographique de la Provence qui doit remonter au royaume des Burgondes !

Si l’État et la SNCF ne veulent plus assumer la charge de certaines lignes considérées désormais comme purement locales, la solution n’est pas de se défausser sur les Régions, mais de concéder l’exploitation à des entrepreneurs privés comme cela a fort bien réussi en Bretagne !

S’agissant des départements, Si l’on concentre sur eux l’essentiel de la politique sociale, on pourrait se demander s’il ne conviendrait pas d’en faire le relais d’autres politiques. En matière d’accueil de la vie, afin d’aider à ce qu’il se fabrique dans notre pays plus de berceaux que de cercueils. Également pour participer à certaines mesures dans le domaine de la santé ou pour les relayer.

II RESSOURCES

Dans cette perspective de clarification, il est également utile pour les citoyens de pouvoir identifier clairement celui ou ceux qui utilisent l’impôt.
Au lieu de l’enchevêtrement actuel, chaque type de fiscalité devrait être attribué à une collectivité et à une seule.

Il y a en effet aujourd’hui, trois masses globales dans la fiscalité locale :

  1. La fiscalité terrienne : taxe foncière, taxe d’habitation.
  2. La fiscalité qui pèse sur l’entreprise.
  3. La fiscalité qui pèse sur l’automobile : carte grise, vignette, taxe sur les permis de conduire etc…

Au lieu que Commune, Département, Région se servent n’importe comment, picorant ici, dévorant là, chacune pourrait se voir doter de l’un de ces 3 types de ressources et d’un seul, afin que les citoyens sachent exactement qui fait quoi, qui dépense quoi, qui augmente quoi, et, osons le dire, qui gaspille quoi !

On pourrait envisager de tendre par exemple à réserver la fiscalité foncière aux communes, la fiscalité économique aux départements, la fiscalité de « mobilité », augmentée d’une part de la TIPP et des redevances portuaires ou aéroportuaires aux Régions.

On devrait pouvoir également discuter de l’abrogation du principe abusif qui, au nom de l’autonomie des collectivités des collectivités locales  consacrée par l’article 72 de la Constitution, permet à l’État et aux collectivités locales de fixer d’abord leur train de vie, et ensuite, par répartition, de tondre le troupeau des contribuables, voire de l’écorcher ou de le dépecer.

III MODE DE SCRUTIN

Un mot pour terminer sur le mode de désignation des élus. Ce n’est pas une question secondaire, puisque cela conditionne la représentation des courants d’opinion au sein des collectivités, et par là, l’égalité des citoyens dans la participation aux choix publics, en un mot : la démocratie véritable. A tous égards, il conviendrait de revenir au mode de scrutin de 1986, clair, simple, aisément compréhensible.

Le mode de scrutin actuel est une véritable « usine à gaz », de surcroît parfaitement injuste : une formation peut être complètement éliminée, en ayant obtenu plus de voix qu’une autre, représentée par plusieurs conseillers.

C’est ce qui s’est passé dans la moitié des régions de France, par l’effet d’un mode de scrutin scélérat, qui permet au Père Noël socialiste de prendre au second tour dans sa hotte : Ecolos, Communistes, Gauchistes, dès lors qu’ils ont franchi la barre des 5%, mais qui contraint une formation indépendante comme la nôtre à en obtenir le double si nous voulons être présents sous nos propres couleurs !

Ce scrutin résulte de la « brillante » réforme mise en place par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Raffarin, et entrée en vigueur en 2004. Elle était destinée à nous faire disparaître. Elle a surtout « réussi » à assurer la défaite de l’UMP dans presque toutes les régions de France, cette fois-ci comme il y a six ans. Juste retour des choses ! Avec Jean-Marie Le Pen, je l’avais prédit aux ministres Brice Hortefeux et Alain Marleix quand ils nous avaient reçus en juin dernier Place Bauveau.

Vous voulez un mode de scrutin clair, simple, juste, aisément compris, assurant dans les assemblées le respect de tous les courants d’opinion, du contradictoire inhérent au principe du débat vraiment démocratique, comme le rappelait en 1993 le Conseil constitutionnel, selon lequel l’un des buts du mode de scrutin doit être de permettre la représentation de tous les courants politique d’une certaine importance ? Alors, divisez le Code électoral par quatre, en adoptant le même principe simple dans toutes les Assemblées politiques : les conseils municipaux des communes de plus de mille habitants, les Conseils des départements, des Régions, l’Assemblée Nationale, sur la base de circonscriptions départementales identiques pour ces trois Assemblées, et, sur listes nationales, pour le Parlement Européen.

Vous voulez éviter les candidatures fantaisistes ? Fixez à 3% le seuil de représentation, et n’allez pas au-delà, car même les minorités doivent pouvoir se faire entendre. Vous voulez fusionner certaines élections, soi-disant pour faire des économies ? Il suffit de décider que le premier quart ou le premier tiers des élus de chaque liste dans les Conseils départementaux constitue le Conseil régional, exactement comme, lors des élections municipales, le premier tiers des élus d’arrondissement de Paris Lyon et Marseille constitue le Conseil municipal. Vous pouvez, si vous le souhaitez vraiment, étendre ce mécanisme simple aux collectivités de communes, dont les membres seraient la première fraction élue aux Conseils municipaux de chacune des agglomérations les composant.

En instaurant la proportionnelle à tous les échelons : Communes, départements, régions, Etat, renoncez aussi à l’inepte prime en sièges accordée à la liste arrivée en tête, sièges qui ne correspondent à aucun suffrage des électeurs, comme c’est ici le cas, dans cette assemblée régionale, par la grâce de l’ex-ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, de 40 de nos collègues de gauche -oui, quarante- dont la désignation dans cette assemblée ne correspond à AUCUN suffrage de Rhône-Alpins !

Vous craignez -ou vous feignez de croire- qu’il en résulterait je ne sais quelle instabilité ? Mais dans l’arsenal des institutions, d’autres garanties existent depuis longtemps ! C’est la « motion de défiance constructive » à l’Allemande, ou l’ancien « 49-3 » régional, qui a parfaitement fonctionné en France durant la période 1998-2004 : Posez en principe qu’un exécutif (Maire et adjoints d’une commune, Présidents et Vice-Présidents d’un conseil départemental ou régional, le Gouvernement face à l’Assemblée Nationale) peut engager sa responsabilité sur tout texte, y compris le budget, où il craindrait de ne pas avoir de majorité. Texte qui sera réputé adopté si la majorité de l’Assemblée ne se met pas d’accord sur un texte différent et sur le nom du remplaçant du chef de l’exécutif en question : Maire de la Commune, Président du conseil départemental ou régional, Premier Ministre. Vous avez là, l’expérience l’a montré, une garantie plus que suffisante contre la prétendue « instabilité » à laquelle conduirait le scrutin proportionnel. Mais vous aurez aussi et surtout des débats ouverts, des amendements, des négociations, au lieu du chèque en blanc donné une fois pour toutes et sur tous les sujets pour cinq ou six ans à une seule formation. Jean-Marie Le Pen a coutume de dire que l’on ne fait pas la queue devant un cinéma où l’on ne passe pas de film. Nos tristes assemblées sont aujourd’hui ces cinémas vides, que les électeurs désertent à chaque occasion.

Redonnez-leur la parole ; donnez audience et légitimité politique à toutes leurs sensibilités, écoutez toutes leurs souffrances, faites place à l’expression de toutes leurs aspirations. C’est plus long, c’est plus difficile, mais vous les verrez revenir. Cela s’appelle la démocratie.

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