Le compte de gestion

Intervention de Charles Perrot – 26 mai 2011

Rapport n° 11.12.326

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président,

Je ne pense pas très utile de revenir, dans le détail, sur les chiffres en grande masse tels que présentés dans ce compte administratif. Les faits saillants ont été présentés en commission. Vous nous les avez présentés encore ce matin. Ils ont été commentés déjà abondamment. Ils sont clairement exprimés dans le rapport, mais le fait saillant pour nous, cette rupture historique par rapport aux années précédentes, ce phénomène de bascule jamais observé depuis la création de l’institution régionale, il s’agit bien sûr de l’infléchissement des dépenses et des recettes de fonctionnement, légère baisse de 0,1 % dans les deux cas, mais tout de même c’est une première et j’aurais tendance à dire : pourvu que cela dure.

Monsieur le Président, ce compte administratif est la photographie au 31 décembre des recettes et dépenses de l’année écoulée. Avec cet immense et dense instantané de 457 pages, dont 424 pour l’annexe, vous vous révélez comme un très bon photographe. J’avais d’ailleurs, l’année dernière, fait cette comparaison. Vous le confirmez donc cette année. J’avais noté, et je note à nouveau cette année, que la photographie que vous nous proposez, malgré cette densité, ne manque pas de netteté. La résolution est bonne et le cadrage est précis. J’en arrête là avec les compliments.

Un léger voile cependant s’est invité en 2010 avec, il est vrai, l’absence du détail des dépenses de fonctionnement des compétences transférées par l’État. Ces données étaient présentes auparavant, depuis 2005. Pourquoi ? La question reste posée. Les réponses apportées, effectivement, ne sont pas satisfaisantes. La mise en place de la commission d’évaluations ad hoc, la semaine dernière, chargée de cette mission, apportera peut-être un éclairage, un focus sur ce clair-obscur. Nous verrons bien.

Je ne me livrerai pas aux commentaires sur les chiffres bruts. Chacun de nous peut à loisir piocher, dans le dédale des lignes, des détours et des contours de cet instantané, la substance de sa propre intervention qui est pour vos amis politiques et pour vous-même la substance béate d’une certaine autosatisfaction. C’est en somme la version du béat débat, « béat Debat ». Pardon, excusez-moi, Monsieur le Vice-président.

Sans donc verser dans la béatitude, posons la question : ce compte administratif reflète-t-il une situation saine de la région Rhône-Alpes ? Absence d’emprunts structurés ou toxiques, ratios financiers favorables comparés à ceux d’autres régions, une gestion active et sécurisée de la dette conduisent à le penser, mais pour nous le problème, en fait, n’est pas là. Il est plutôt de savoir comment est dépensé l’argent des Rhônalpins et vers qui.

Pour le comprendre, il n’y a qu’une seule solution. Il suffit de quitter le corps du dossier et il faut aller à l’annexe : de la page 233 à 390, c’est-à-dire environ – j’ai compté – 15 000 lignes de subventions. Je l’ai déjà dit : là est le trésor d’informations. Là est la véritable « caverne d’Ali Baba », une mine de données classées apparemment et savamment en cinq sous-chapitres : associations, personnes morales, personnes physiques, communes, autres organismes publics, mais en réalité c’est un glorieux « foutoir ». On y trouve de tout mais, dans ce patchwork, il est possible de démontrer des pratiques subreptices, comme par exemple l’art consommé du saucissonnage qui permet à certaines associations de se goinfrer au-delà de toute raison, en émargeant dans les différents chapitres, dans les différents départements.

Il convient donc de faire un travail de consolidation. Finalement, c’est comme pour un bilan d’entreprise. Un compte administratif n’est ni plus ni moins que le bilan d’une entreprise. Il faut donc consolider les chiffres. Je me suis alors amusé à consolider certains chiffres, comme je l’avais d’ailleurs fait l’année dernière. Je vais m’attacher à deux ou trois exemples qui sont, pour nous, typiques et révélateurs de pratiques que nous trouvons désastreuses. Je vais parler, par exemple, dans le domaine de l’écologie, d’une association que j’ai souvent citée, la FRAPNA.
Subventions 2010 :
– FRAPNA Ain : 181 447 €
– FRAPNA Drôme : 75 714 €
– FRAPNA Loire : 150 344 €
– FRAPNA Rhône : 98 935 €

Ce sont les FRAPNA départementales, mais il y a aussi une FRAPNA régionale qui, elle, a eu à Lyon : 301 417 €. Donc le total consolidé des aides de la Région à la FRAPNA, en 2010, s’est monté à 807 859 € contre 776 464 € l’année dernière, soit une hausse de + 4 %. Des dépenses de fonctionnement, généralement en baisse, indiquées à 0,1 %, il y a tout de même des associations qui tirent très bien leur épingle du jeu.

On pourrait aussi parler du CORA (Centre Ornithologique Rhône-Alpes) (69), qui est passé de 411 000 € à 416 000 €. C’est là une hausse modeste de + 1 %, mais c’est une hausse tout de même.

Nous pourrions parler de GRAINE Rhône-Alpes qui est passée de 133 848 €, en 2009, à 316 000 €, en 2010, soit une hausse de + de 136 %.

Nous pourrions aussi parler du CREN (Conservatoire régional des espaces naturels) à Vourles. Les subventions versées en 2009 se sont montées à 748 000 €.

On voit que, sur ce seul chapitre, les subventions à des associations de protection de la nature et écologistes ne sont effectivement jamais en baisse, toujours en hausse, et quelquefois dans des proportions considérables.

On pourrait aussi parler de l’exemple des syndicats politiques  professionnels :  FO Drôme (119 000 €),  CGT Rhône (172 000 €),  CFECGC (137 000 €),  soit 430 000 € pour les syndicats en 2010.  Inutile de vous dire que si nous étions, nous aux affaires de la Région, cette ligne serait passée automatiquement à zéro car ces syndicats ne représentent plus rien aujourd’hui, mais évidemment il faut tout de même bien payer les permanents.

Monsieur le Président, nous dénonçons ces niveaux de soutien régional pour de telles associations parce qu’ils sont indécents. En des temps de crise et de chômage, nous les mettons en exergue publiquement. Je cite ces chiffres pour qu’ils soient entendus de tous, y compris de la presse. Nous considérons que ces niveaux de chiffres sont une injure à la raison et à la nécessaire solidarité que nous devons à nos compatriotes les plus démunis, les plus désemparés, de plus en plus nombreux. Nous expliquerons à nos compatriotes que vos choix purement partisans vous font préférer les odonates – pardon les libellules –, les chiroptères – pardon les chauves-souris –, la rousserolle effarvatte, le pipit rousseline, le bruant zizi ou le grèbe à cou noir. Bref, vous préférez les passereaux et les crapauds plutôt que de protéger la veuve et l’orphelin, le sans domicile fixe, le chômeur, le RMiste… et les nouveaux pauvres que sécrète en permanence le paradis « socialo-libéral » ou libéral-socialiste.

À noter, tout de même, que toutes ces subventions que j’ai citées ont été votées conjointement, par vous et par ce que l’on appelle l’opposition de droite, sauf par nous bien sûr.

Indécence, Monsieur le Président ! Indécence Monsieur le Président, qu’il est facile à nouveau de pointer du doigt dans un tout autre domaine et dont la matière nous a été fournie lors des dernières commissions de jeudi dernier, avec le document que j’ai entre les mains, que tout le monde a eu : mandats spéciaux, déplacements d’élus régionaux à l’international depuis la nouvelle mandature de mars 2010. Il est vrai qu’il a fallu insister beaucoup pour l’obtenir, être patient pour disposer de ce document sidérant et passionnant. Je vais rentrer un peu dans le détail de ce document.

Parlons, par exemple, de l’Exposition universelle de Shanghai. Je ne vais pas me faire des amis, c’est sûr. 19 conseillers régionaux ont fait le voyage de Shanghai. Coût total (transport en avion) : 81 000 €. Prix moyen du billet – écoutez-moi bien – : 4 200 €, soit quatre fois le SMIC net ! C’est indécent, Monsieur le Président. Je parle de Shanghai parce que, voyez-vous, je connais bien Shanghai. J’aime cette ville et j’y vais deux à trois fois par an. Je n’ai jamais payé mon billet – je dis bien jamais – plus de 900 €.

Comment se fait-il, Monsieur le Président, comment se fait-il que nous ayons ici, à la Région, pour 19 élus du peuple des coûts de billets de 4 200 € en moyenne alors que moi, simple élu du peuple, je paie 900 € ? J’affirme que l’économie sur ce simple poste de déplacement à Shanghai aurait pu être de 60 000 € : si on prend 19 billets à 1000 €, cela fait 19 000 € ; le coût qui nous a été acté est de 81 000 €. Il y a sur ces simples lignes 60 000 € à économiser.

Passons, toujours dans ce même document, à « M. Terre-Lune bis ». Pour les nouveaux dans cette assemblée, il faut savoir que dans l’ancienne, nous avions ainsi affublé M. Bayon du sobriquet « M. Terre-Lune » parce qu’il faisait tellement de déplacements que, durant sa mandature, il a fait plus de kilomètres qu’il y a entre la Terre et la Lune, aller-retour ! Quand on prend ce document, quand on rentre dans le détail, on s’aperçoit que l’on a un « M. Terre-Lune bis ». Je ne vais pas me faire un ami avec M. Soulage, mais tout de même voilà un homme qui a pris à coeur sa nouvelle casquette, dès le début de la nouvelle mandature. On prend l’avion ; accrochez-vous, mettez vos ceintures !
– 24 avril 2010, Chicago ;
– 2 juin 2010, Bonn ;
– 4 juin 2010, Vallée d’Aoste ;
– 15 juin 2010, Barcelone ;
– 17 juin 2010, Nankin, Shanghai ;
– 6 octobre 2010, Shanghai à nouveau ;
– 20 octobre 2010, Argentine ;
– 16 novembre 2010, Mexico ;
– 6 février 2011, Dakar ;
– 13 mars 2011, Turin ;
– 14 mars 2011, Hanoï, Hô Chi Minh-Ville ;
– 28 avril au 30 avril, Philadelphie, Washington.
Très bien. Je ne doute pas du tout de la réalité de l’opportunité de ces déplacements pour le bienfait de la Région Rhône-Alpes, mais là aussi, quand on voit le coût des billets, il y a une certaine indécence tout de même ! M. Soulage est comme le furet de la comptine : il est passé par ici, il repassera par là. Oui, mais il passe par là tout de même en Business ! Il ne faut pas exagérer.

J’ai noté une chose tout de même assez amusante dans le voyage de Shanghai : Mme Cukierman a payé son billet 1 725 € – en tout cas, c’est la somme déclarée –, quand Mme Puthod a, elle, un billet à 4 552 € pour les mêmes dates, du 18 au 23 octobre 2010 !

C’est probablement ce que l’on appelle la lutte des classes ! Voyez-vous, ces comportements-là, Monsieur le Président, sont indécents. Ils sont indécents parce qu’ils émanent de vous. Vous êtes des perpétuels donneurs de leçons de morale, de morale dite républicaine. Dans cette période d’austérité, de budget contraint, de récession tous azimuts, ces comportements-là ne sont plus tolérables. Ils sont révélateurs d’un état d’esprit. On considère comme normal de voyager en First ou en Business, avec l’argent des autres. C’est le comportement de représentants de cette fameuse « hyper-classe nomade », chère à Jacques Attali, la version « boboïsée » et socialiste branchée. En somme, vous êtes devenus des sous-espèces de DSK, voilà ! Donc, très honnêtement, il y a trop de choses qui ne sont pas normales. Parce que ce compte administratif est devenu le compte administratif d’une forme d’indécence institutionnalisée, bien évidemment nous voterons contre ce rapport.

Je vous remercie.

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